[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour. Est-ce que vous pourriez vous présenter rapidement et situer votre parcours qui vous mène à ce Tribunal Arbitral du Sport? >> Bien sûr. Je suis Matthieu Reeb, je suis le secrétaire général du Tribunal Arbitral du Sport, j'exerce cette fonction depuis l'an 2000. J'ai commencé au TAS en qualité de conseiller. Je me suis donc occupé essentiellement des procédures d'arbitrage depuis le début, c'était en 1995. J'ai une formation d'avocat, j'ai donc très vite bifurqué vers le droit du sport à partir du moment où j'ai pu concilier mes deux centres d'intérêt, le sport et le droit. On avait cette opportunité de développer le Tribunal Arbitral du Sport qui, à l'époque où j'ai commencé, ne comptait que 3 employés avec une quarantaine de dossiers par an ; aujourd'hui, nous sommes 25 employés et nous traitons près de 450 dossiers en moyenne par année. >> Maître Reeb, qu'est-ce qu'un Tribunal Arbitral du Sport? >> Le Tribunal Arbitral du Sport est un tribunal qui est, comme son nom l'indique, arbitral. Il a donc besoin pour exister d'avoir un accord entre les parties, entre les utilisateurs de ses services. Cet accord peut se former par un contrat : un athlète, par exemple, une fédération ou un sponsor vont signer un contrat dans lequel ils mettront qu'en cas de litige le Tribunal Arbitral du Sport est compétent pour résoudre ce différend. Le contrat peut être aussi signé après la survenance du litige. À ce moment-là , on fait une sorte de mini contrat, une lettre suffit, avec une double signature. Mais, plus généralement, on trouve cet accord dans les règlements des fédérations qui prévoient elles-mêmes un droit de recours auprès du TAS contre leurs propres décisions. Une fédération X pourra donc dire que toute décision rendue, par exemple en matière de dopage, pourra être contestée auprès du Tribunal Arbitral du Sport. Et ce qu'on appelle une clause d'arbitrage par référence nous suffit pour mettre en œuvre une procédure d'arbitrage et rendre des jugements qui sont exécutoires. >> Donc, si je suis dans une fédération sportive que je suis accusé ou j'ai un prélèvement, un échantillon, qui est positif, de fait, sans le savoir, je suis inséré dans >> la législation. Je suis supposé pouvoir faire recours au Tribunal Arbitral du Sport automatiquement puisque je participe à la compétition et je suis membre de la fédération. >> Exactement. Cette adhésion, en fait, fait que vous ne devriez pas ignorer l'existence d'une clause TAS. Certains athlètes ont essayé d'aller devant les tribunaux ordinaires, avec plus ou moins de succès, parce que tant qu'une clause existe, les parties sont sensées venir chez nous, au TAS. On a eu, il y a peut-être une vingtaine d'années, des cas où les athlètes disaient qu'ils n'avaient pas adhéré personnellement à ce système et s'estimaient libres d'aller où ils voulaient. Mais l'expérience montre quand même que, en dépit des questions juridiques, les athlètes ont un intérêt à venir au TAS, parce que la procédure est rapide, elle est souvent peu onéreuse, voire gratuite, et la justice est rendue par des spécialistes en matière d'arbitrage sportif. L'un dans l'autre, finalement, l'intérêt de vouloir se tourner vers la justice civile, à moins d'avoir des stratégies différentes, est quand même moindre alors que le service offert par le TAS est dans l'intérêt des athlètes et du sport en général, puisque cela permet d'aller plus vite et d'avoir une décision qui permette justement d'éviter des retards et des délais. >> Quelle est la particularité de ce tribunal? >> Déjà nous sommes spécialisés dans le domaine du sport, donc nous ne faisons que des affaires relatives au sport. Cela signifie que nous excluons tout ce qui pourrait être du droit commercial, qui n'aurait pas un lien direct ou indirect avec le sport. Nous avons très peu d'exemples où nous avons dû nous déclarer incompétents parce que la matière ne correspondait pas à notre objectif. En général, il y a toujours un rattachement possible avec le sport de compétition ou le sport en général. Cela est donc une caractéristique de notre tribunal. La deuxième c'est que nous sommes un tribunal arbitral, tribunal reconnu par le droit, l'arbitrage étant une forme de justice privée, et que nous rendons la justice par ce biais-là . >> Est-ce que les fédérations nationales, les fédérations internationales, le CIO sont impliqués dans le Tribunal Arbitral du Sport? >> Impliqués, on peut dire oui et non. Impliqués dans le sens où ils soutiennent financièrement le TAS en versant une contribution, on pourra en parler tout à l'heure, qui nous permet d'offrir la gratuité des procédures en matière d'appel aux athlètes qui auraient un problème disciplinaire. Pour faciliter l'accès à la justice, cette contribution financière nous évite de devoir demander aux athlètes et aux fédérations concernées de financer leurs propres procédures d'arbitrage. >> D'accord. C'est donc gratuit pour les gens qui font appel à vous. >> En matière disciplinaire oui, en matière contractuelle ou commerciale non. Là nous demandons aux utilisateurs du tribunal de financer leurs propres procédures, en sachant que les coûts restent raisonnables en comparaison, par exemple, à d'autres institutions d'arbitrage commercial. L'autre implication, si on veut, du mouvement sportif c'est dans la composition du Conseil international de l'arbitrage en matière de sport qui est l'organe faitier du TAS, qui comporte des personnalités désignées par le Comité International Olympique, par les fédérations internationales, les comités nationaux olympiques. Ces personnalités, qui n'ont d'ailleurs pas forcément un lien avec une fonction dirigeante du sport, on a notamment plusieurs juges et avocats spécialisés en arbitrage qui n'ont pas forcément de fonction dirigeante dans le sport, vont superviser l'activité du TAS. >> Et quand quelqu'un fait appel au TAS, si la décision ne lui convient pas, est-ce qu'il y a une possibilité de recours ou de faire appel au sein du TAS, ou ailleurs dans une autre juridiction? >> Nous rendons des décisions qu'on appelle sentences, qui sont définitives et exécutoires, >> qui ont la même force qu'un jugement d'un tribunal étatique. Ces sentences peuvent être exécutées, elles le sont volontairement par les parties, les utilisateurs du TAS qui bénéficient de ces décisions, ou alors, en cas de refus, il y a une procédure qu'on appelle d'exequatur. C'est une procédure d'exécution de sentence arbitrale qui peut être appliquée par des juges nationaux, dans le pays concerné. En cas de contestation contre une sentence du TAS, il y a un moyen de recours devant le tribunal fédéral suisse, qui se trouve d'ailleurs à quelques hectomètres du siège du TAS. C'est le seul recours possible devant le tribunal fédéral pour des motifs limités qui ont trait à la procédure, à la composition du tribunal arbitral, au respect du droit des [INAUDIBLE], des questions plutôt liées à la procédure qu'au droit de fond. >> D'accord. Le TAS s'occupe effectivement de sportifs, de fédérations, et en matière de litiges, quelles sont les personnes ou les organisations qui vous sollicitent le plus? >> En matière de dopage, c'est toujours difficile de faire une statistique. On peut dire que, statistiquement, nous avons plus de cas qui concernent le monde de l'athlétisme ou du cyclisme. Ce sont aussi peut-être des fédérations qui cherchent davantage les cas de dopage dans leur sport. Forcément, s'il y a plus de recherches, plus d'enquêtes, il y a peut-être aussi plus de résultats positifs et plus de recours au TAS. Je répondrais plus simplement que tous les sports ou pratiquement tous les sports olympiques ou non olympiques, sont concernés par le dopage. Nous avons des cas d'appel ou des procédures d'arbitrage qui concernent un échantillon très large de tous les sports internationaux : l'haltérophilie, la natation, l'athlétisme, le cyclisme, le football, les sports d'équipe, et des sports d'hiver bien entendu. L'échantillon est donc très vaste et je ne mettrai pas l'accent sur un sport ou un autre pour dire qu'il y a plus de cas ici ou là . >> Sans faire une entrée par le sport, mais par une typologie >> des cas concernant le dopage, ce serait des recours pour quels types de délits? >> De nouveau, nous avons un vaste échantillonnage. Ces derniers temps, nous avons eu pas mal d'affaires qui concernent les suppléments nutritifs, le problème des stimulants, du genre méthylhexanamine, qui se retrouvent dans des compléments alimentaires, dans des suppléments nutritifs, que les athlètes consomment parfois de manière un peu négligente, sans véritablement se renseigner sur la composition du produit qu'ils ingèrent. On a parfois des mauvaises surprises liées à des tests positifs qu'il faut ensuite expliquer. Même si les athlètes peuvent donner le nom des produits, le nom des substances, il n'en reste pas moins qu'ils ont une responsabilité accrue dans ce domaine, et qu'on attend d'eux, surtout des athlètes de niveau international, qu'ils contrôlent ce qu'ils consomment et qu'ils fassent très attention à ces suppléments nutritifs. Donc ça s'arrête pas là , évidemment. Nous avons des cas liés à des prises de stéroïdes anabolisants, des problèmes de, même de, d'hormone de croissance. On a eu deux ou trois cas, même, récemment. Et puis vous avez les cas qui sont, on dit, non liés à une analyse positive, ce sont des violations du style refus d'accepter un contrôle antidopage, un refus de prendre part à un test antidopage et également ce qu'ont appelle les no shows, ce sont les absences lors de contrôles inopinés. Vous savez, ce système de contrôle de présence ADAMS qui est rempli, qui doit être suivi par tous les athlètes de niveau international. Si vous n'indiquez pas votre présence à telle ou telle date, ou que l'agent testeur vient au rendez-vous entre guillemets, et qu'il ne trouve personne, ça peut constituer une infraction également. >> Est-ce que les modifications, qui sont assez récentes, du code mondial antidopage, donc de 2015, >> risquent d'avoir des effets sur l'activité du TAS et puis les décisions en matière d'arbitrage? On pense notamment au fait que les sanctions semblent être plus importantes et voire monter de façon plus régulière à 4 ans. Est-ce que ça peut avoir un effet? >> Je crois qu'on attend beaucoup de la jurisprudence du TAS mais en réalité on va avoir certainement une évolution douce, dans la mesure où autrefois, sous le régime de l'ancien code mondial antidopage, il était déjà possible d'aller au-delà des 2 ans de suspension traditionnels. Le TAS a déjà connu des cas où il est allé jusqu'à 3 voire 4 ans de suspension. Simplement maintenant le règlement ouvre un tout petit peu plus grand la porte et va donner plus de latitude aux autorités qui doivent sanctionner, et au TAS, pour, justement, avoir un curseur qui est un peu plus large pour appliquer une sanction. Donc je pense pas qu'il y aura une révolution, par contre, on aura certainement, peut-être un peu plus de sévérité du fait de la nouvelle rédaction du code mondial antidopage. Mais jusqu'à présent, nous sommes en juin 2015, juillet 2015, et nous n'avons pas encore eu de cas qui concernent l'application du nouveau code mondial antidopage. >> Est-ce qu'elle pourrait laisser plus de marge d'appréciation au juge dans la manière de graduer les sanctions? >> Je pense un petit peu, oui, ça c'est mon avis mais j'ai l'impression qu'effectivement les formations arbitrales auront une latitude un peu plus grande pour évaluer la sanction appropriée, tout en sachant qu'il y a quand même des critères assez précis dans le code mondial antidopage, >> en matière d'intention notamment, qu'il faudra respecter et appliquer. >> Est-ce que le principe de strict liability qui était appliqué, du renversement en quelque sorte, du fardeau de la preuve, est-ce que ce principe-là risque d'être affecté par le nouveau code mondial antidopage? >> Alors, de nouveau, là je parle à titre personnel, je ne crois pas que ce principe-là >> soit remis en cause, en tous cas pas dans un proche avenir. C'est une règle qui existe finalement depuis fort longtemps, qui est toujours, d'ailleurs, indiquée dans le nouveau code mondial antidopage. Donc il appartient toujours à l'autorité qui contrôle, en somme, l'athlète, d'apporter la preuve d'une infraction de dopage, et une fois que cette preuve est apportée, il y a une présomption de fiabilité du laboratoire qui a exécuté le contrôle, et c'est à l'athlète, toujours, qu'il revient la responsabilité de renverser cette présomption et d'apporter des éléments qui pourraient tendre à démontrer qu'il n'y a pas de violation antidopage. Donc ce système-là va, à mon avis, perdurer, par contre on aura peut-être des allègements de sanctions, de suspensions liées à des cas de faible gravité. >> Si on prend le cas, très connu, ancien, le cas d'Alain Baxter qui a perdu sa médaille aux jeux olympiques. C'est un des seuls skieurs alpins écossais qui a eu une médaille, et qui a perdu parce qu'il a pris un inhalateur x qu'il a acheté aux Etats-Unis plutôt qu'en Grande-Bretagne. Est-ce qu'on aurait une évolution de la jurisprudence dans son cas? >> Dans le cas d'Alain Baxter, je ne crois pas qu'il pourrait récupérer une médaille. On aurait toujours le même problème, c'est que l'athlète a concouru en ayant pris un produit interdit, donc il a participé à une compétition le jour j avec, justement, une substance qu'il n'aurait pas dû avoir dans son corps, donc vis-à -vis des autres concurrents il y a une inégalité. Donc je pense que la disqualification serait maintenue et peut-être alors que, au niveau de la suspension, parce qu'il avait été suspendu 3 mois en raison de cette infraction, il y aurait une évolution, on viendrait peut-être à une plus grande clémence, encore que là le cas n'était pas trop sévère, mais ça pourrait être l'évolution appliquée. >> Dans le nouveau code on insiste sur les questions de complicité, >> donc complicité de participation à une activité de dopage. Est-ce que c'est une façon d'élargir le champ des sanctions, des investigations, ou est-ce que c'est des tendances qui existaient déjà dans l'ancien code? >> Alors là je pense que les auteurs du code mondial antidopage seront mieux à même de répondre que moi, >> mais là parce que c'est une notion un peu nouvelle en ce qui concerne l'application du code. A priori on sent quand même une volonté des autorités antidopage d'élargir le cercle, on va dire, des présumés coupables lorsqu'il y a une infraction de dopage. Je pense que l'agence mondiale antidopage part du principe qu'il n'y a pas l'athlète tout seul qui décide de se doper mais qu'il peut y avoir l'entourage, entourage proche ou éloigné, entourage professionnel, d'ailleurs, ou amateur. Donc on sent effectivement une volonté d'aller un tout petit peu au-delà de l'athlète, sachant que l'athlète est souvent, pas obligé, mais il est souvent sous pression pour prendre des produits interdits, et cette pression est parfois exercée, évidemment, par l'entourage proche. Donc, oui, ça c'est une évolution. On le verra, dans la jurisprudence du TAS, si ça apporte effectivement quelque chose de nouveau, mais c'est quelque chose de différent en tous cas. >> Et l'idée d'association interdite, ça veut dire que maintenant un sportif va devoir bien se renseigner sur >> le choix de son médecin, de son entraîneur, de son coach, de son directeur sportif, puisque que c'est aussi une notion, en disant mais s'il y a une association avec des personnes qui ont été sanctionnées ou qui sont complices d'affaires de dopage, vous pourriez avoir une sanction aussi. >> Alors c'est un peu la même réponse que tout à l'heure, donc là aussi c'est quelque chose d'un peu différent de >> ce qu'on a connu. C'est un devoir de l'athlète aussi de s'associer avec des personnalités qui sont irréprochables. Celui ou celle qui veut prendre conseil auprès d'un médecin, d'un entraîneur qui a déjà eu des problèmes relatifs à des violations antidopage, il prend un risque, et ça il doit le savoir, effectivement. Mais, de nouveau, et ça c'est quelque chose, c'est une évolution et on verra ce que ça pourra donner au niveau de la jurisprudence du TAS. >> Maître Reeb, merci beaucoup. >> Je vous en prie. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]