[MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Est-ce que tu peux te présenter, avant qu'on puisse commencer l'entretien >> sur cette prévention? >> Alors je suis Olivier Aubel, je suis sociologue, je suis à l'université de Lausanne, à l'institut des sciences du sport depuis 2011, et mon principal travail de recherche, en tant que sociologue, c'est avec l'union cycliste internationale, dans le cadre de la refonte des dispositifs de prévention du dopage dans le cyclisme. Donc c'est un travail de sociologue, que l'on fait à l'institut des sciences du sport de Lausanne, qui est assez particulier, parce que l'on est dans un contexte institutionnel très spécial, on est à Lausanne, avec le comité international olympique, il y a une soixantaine de fédérations internationales autour, et donc on peut le dire, la ville de Lausanne et le canton de Vaud, mettent en place ce que l'on appelle un marketing territorial qui vise à donner des ressources à ces fédérations, de façon à les faire rester à Lausanne, parce qu'elles participent à l'image, elles sont pourvoyeuses d'emplois, et là l'ISUL a un rôle stratégique clé, de pourvoyeur de ressources pour sa fédération. Ce qui fait que l'ISUL est un institut qui est dans un endroit captivant, pour un sociologue, et oblige le sociologue, ou le psychologue, ou le bioméchanicien, à ne pas être qu'un scientifique, mais à produire des connaissances qu'on va mettre à l'épreuve de l'action. À l'épreuve de l'action, cela veut dire, pour un sociologue, de passer du moment où on doit analyser, au moment où l'on doit proposer. Et c'est ce qu'on fait avec l'UCI. C'est une présentation un peu longue, mais je pense que c'est important. Avec l'UCI, on ne se contente pas d'analyser et de donner des études. On va un cran plus loin. On propose des dispositifs, et c'est ce qu'on a fait. On a, dans un premier temps, étudié dix équipes cyclistes professionnelles du plus haut niveau mondial, première et deuxième division. Puis ensuite, on a proposé un dispositif qui s'appelle le cahier des charges des équipes cyclistes professionnelles, qui va devenir règlementaire à partir de 2017. Et donc, on prend ce risque, en tant que sociologue, moi c'est ma manière de faire, enfin c'est ce que j'aime bien faire, sociologue, mais qui prend le risque de l'action, et qui prend des coups. Donc on se fait taxer d'universitaire, c'est un gros mot : vous êtes des grosses têtes, sert à rien ce que vous faites, vous n'avez pas compris notre métier, etc. >> Dans un premier temps, ça. >> Dans un premier temps, et après, ça fait deux ans que l'on travaille, et le discours a changé. Je travaille principalement sur la prévention du dopage, dans le cyclisme professionnel, en lien avec l'UCI, qui est l'union cycliste internationale, qui nous mandate pour faire ces travaux. >> Et dans la lutte contre le dopage, qu'est-ce qu'on a comme outils, est-ce que la prévention joue un rôle, dans la lutte contre le dopage? >> Alors, quand on regarde ce qui se fait en matière de lutte contre le dopage, on a deux familles d'instruments. Qu'on va retrouver dans la lutte contre la toxicomanie, etc. La famille de la prévention, avec tout un travail d'éducation. Dans le cas du dopage, c'est à la fois montrer que, c'est immoral de se doper, illicite au regard des règlements sportifs, et dangereux pour la santé. Ces deux éléments. Et puis en termes de prévention, on peut également imaginer des mécanismes, comme on le fait dans la lutte contre la toxicomanie, c'est-à -dire de fournir des alternatives, aux gens qui prennent ces produits. Et donc dans le cadre de la prévention du dopage, tout simplement, c'est veiller aux conditions de travail et d'emploi des cyclistes, pour leur fournir une alternative à la prise de produits, dans les situations de faiblesse. Première famille. Deuxième famille, on est sur des dispositifs de lutte. Cette fois-ci, on va tenter de lutter contre les gens qui se dopent, et contre les gens qui les approvisionnent en produits dopants. Donc, grossièrement, les deux instruments les plus mobilisés, sont l'éducation et la lutte. >> Et sur ces aspects plutôt éducation, on arrive à avoir une estimation de l'efficacité? On a des indications de cette efficacité? >> Alors, cette efficacité, on va la mesurer de deux manières. Soit on demande aux gens qui font du sport de niveau d'élite, s'ils prennent des produits, donc c'est les fameuses études des prébalances sur le modèle des études épidémiologiques. Bon, ça, on a des doutes sur la fiabilité compte-tenu du fait que c'est une activité coupable et qu'on répond difficilement à ces questions. La deuxième chose, c'est que l'on a les statistiques des gens qui se font prendre. Dans le dopage, nous on a une visibilité sur la période 2005- 2015, on voit qu'on a 30 à 40 cas par an, et que ça ne bouge pas. >> Dans le cyclisme hein, dans le cyclisme. >> Dans le cyclisme, toutes disciplines confondues, >> la route, le vtt, etc. Donc ça, ça ne bouge pas. On pourrait dire qu'au final, Après, cette efficacité, il faut détailler selon e type d'instrument, et les motifs de dopage. Pour des gens qui se dopent par méconnaissance du fait que le dopage, c'est à la fois immoral, et dangereux pour la santé, on mobilise l'instrument d'éducation. Alors, il est efficace, mais compte-tenu de la diffusion du message, désormais, il faut vraiment se cacher très, très loin, en Antarctique, pour ignorer ces messages. Donc on se demande si c'est vraiment efficace, à tel point que certains coureurs se moquent des sketchs que leur présentent les fédérations internationales, pour leur dire : attention les gars, ne vous dopez pas, c'est pas bien et c'est dangereux. Donc on a des exemples qui nous ont été racontés comme ça. La deuxième chose, c'est que en termes d'efficacité, si on regarde les véritables tricheurs, c'est-à -dire ceux qui connaissent les règles, qui les enfreignent, ceux qui vont mettre au point des systèmes de microdosages, qui vont mettre en place des systèmes mafieux d'approvisionnement, avec des salaires occultes, etc... Là , on voit immédiatement que c'est la répression, l'outil qu'il faut mobiliser. Et il y en a encore, puisqu'on voit qu'un certain nombre se font encore prendre, et que ces gens-là , ils ont carrément un temps d'avance, tout le temps, puisqu'ils sont tout le temps en train d'innover. Puisque leur moteur, c'est effectivement contourner la règle systématiquement, donc bon, ceux-là , c'est très difficile. Même si, la lutte antidopage, de ce point de vue-là , progresse énormément, puisqu'elle arrive à mieux cibler, elle développe des techniques d'intelligence, à la manière de la police scientifique, et que ça progresse. On a, quand même, des problèmes de fiabilité dans certains cas, mais ça va très, très vite. >> Et sur les aspects éducation, prévention, c'est vrai qu'on aborde souvent, >> et tu l'as dit, il y a des gens qui font des espèces de fautes morales, des tricheurs. Est-ce que ça suffit, est-ce que le présenter comme une faute morale individuelle, c'est la bone perspective pour faire de la prévention? >> Alors justement. Quand on s'adresse à des gens qui enfreignent les règles en matière de dopage par méconnaissance, ou de véritables tricheurs, on peut dire que décrire ça comme une faute morale individuelle, ok. Pas de problème. Mais, quand on a affaire à des gens qui prennent des produits parcequ'ils s'imaginenet que la seule réponse à leur système de contrainte, en matière de travail et d'emploi, c'est de prendre des produits parcequ'ils s'estiment coincés : démotivés, fatigués, laissés seuls, à l'abandon, par leurs équipes etc. Traiter le dopage comme ça, ça ne fonctionne pas. Ça ne fonctionne pas, tout simplement, il faut se départir de cette vision-là . >> Donc, ça veut dire dans ton explication, ce n'est pas une faute morale individuelle, mais c'est plus une question d'un individu, dans une organisation. Et la faute, elle est plutôt retrouvée dans cette interaction. >> Tout à fait, parce que par contraste par exemple, si on sort du monde du sport, et qu'on regarde les études épidémiologiques qui s'intéressent aux consommations de produits dans un univers professionnel : le bâtiment, l'agriculture, etc. On se rend compte qu'on a des études, alors le dernier baromètre santé des français, qui est une étude conséquente, il y a 20000 personnes interrogées, on se rend compte que 19 % des gens utilisent des produits dans leur cadre professionnel, ou à cause de leur travail. Que dans d'autres études, des chauffeurs poids lourds par exemple, on arrive à montrer que 5 % sont testés positifs à l'alcool. 4 % aux opiacés. 8.5 % au cannabis, etc. Et ça, on a des études dans les pays scandinaves, au Canada, en France, un peu partout, qui montrent que les travailleurs, hors du sport, utilisent des produits de manière massive. Par contraste, on peut voir qu'on a un traitement médiatique qui est hypertrophié, s'agissant du dopage sportif ; qu'on néglige le dopage du travailleur ordinaire on va dire, et par contraste, de dire que ça nous empêche de penser les choses de manière correcte quand on parle du sport. >> Ce qui veut dire, ta vision, c'est aborder le sportif comme travailleur, et qu'est-ce qu'on regarde dans le sportif comme travailleur, qu'est-ce qu'on doit observer? >> Alors. On va observer, effectivement, la vision, c'est le sportif en travailleur, avec deux obstacles il faut quand-même le dire, c'est que la signification qu'on attache au sport, le sport c'est du non travail. Donc un sportif, considéré comme travailleur, il est censé être là pour ses loisirs, on ne voit pas pourquoi on le considérerait comme ça. Deuxième obstacle, c'est que le sport, on sait tous que c'est un show méritocratique, un sociologue disait dans le temps, que c'était le mariage harmonieux de la concurrence et de la justice. Et donc, celui qui réussit, c'est celui qui a le plus travaillé. Donc tant qu'on reste là -dedans, on ne comprendra pas. Et donc, après, si on dépasse cette vision, c'est ce qu'on a voulu faire en tant que sociologues, qu'est-ce qu'on va regarder? On va regarder comment le risque de dopage peut augmenter en fonction des conditions de travail et des conditions d'emploi. Donc, le travail c'est l'activité concrète de production de la performance. L'emploi, c'est les relations contractuelles qu'on a avec son employeur. On va regarder la durée des contrats, le montant des contrats, etc, etc. Et donc, on va agir sur quoi? Nous, en en tant que sociologues, si on propose un dispositif d'action sur les conditions de travail, sur les conditions d'emploi. >> Donc, la prévention cible ces deux domaines-là ? Et plus concrètement, parce que tu as une expérience dans le suivi des équipes, sur les charges de travail, les conditions d'emploi, qu'est-ce qu'il y a comme propositions? Comment tu procèdes, simplement? >> Alors, comment on procède? Tout d'abord, on est très attentif à la mise en place d'un suivi des coureurs. C'est-à -dire qu'il faut savoir qu'un coureur peut passer entre 40 % voire parfois 80 % de son temps hors de présence de son employeur. Donc, le cycliste, c'est en quelque sorte un télétravailleur. Il faut que son employeur puisse se dire, ce gars-là , il s'entraîne, il est chez lui. Qu'est-ce qu'il fait pendant ce temps-là ? Il s'entraîne vraiment? Il prend des produits? Est-ce qu'il s'entraîne correctement? Est-ce qu'il suit des plans d'entraînement? Donc, cela veut dire, on met en place tout un dispositif de suivi, avec des entraîneurs, avec des médecins qui sont en veille, pas pour les surveiller, pour les contrôler, mais pour les assister dans leurs moments de vulnérabilités, et pour les aider à progresser autrement qu'en prenant des produits. Donc cela, c'est important. Deuxième chose, il faut veiller à ce que la préparation, elle soit rationalisée, qu'il y ait des plans d'entraînements. Aussi étrange que cela puisse paraître, il y a encore, il y a deux ou trois ans, beaucoup de coureurs qui n'avaient pas de plans d'entraînements formalisés, qui s'entraînaient tout seuls. Il ne viendrait jamais à l'idée d'un club de football de ne pas avoir d'entraîneur. Il y a beaucoup d'équipes cyclistes qui n'avaient pas d'entraîneurs. Donc, mettre en place cela, c'est hyper important. C'est très important, à tel point que les jeunes coureurs, qui sont des nouvelles générations, qui ont un autre passé, parce qu'ils ont eu à faire, ils ont eu un accès massif à l'éducation, plus que leurs, les précédents, etc., réclament à leurs équipes des entraîneurs. Donc c'est, il faut en quelque sorte, comme le disent les Anglo-Saxons, il faut staffer l'encadrement des équipes. >> Donc, prévenir c'est renforcer, ou changer les cultures des organisations sportives, des équipes en l'occurrence. Et actuellement, est-ce qu'il y a un changement? Est-ce qu'il y a plusieurs cultures, est-ce que cela s'uniformise? Comment cela se passe? Alors, je pense le terme culture, il est très important. Parce qu'on voit effectivement qu'il y a des équipes qui ont un discours généreux hyper convaincu. On voit des managers d'équipes pleurer à la télé quand il y a une affaire de dopage. Ce n'est parce qu'ils sont bons acteurs, c'est tout simplement parce que cela les touche profondément d'avoir à affronter ce genre d'affaires, et qu'il ne comprennent pas pourquoi dans leur équipe cela peut advenir. Et cela, c'est important. Cela veut dire que c'est vraiment un phénomène culturel intériorisé. Et, ils ont une bonne volonté qu'on ne peut absolument pas remettre en cause. Néanmoins, ils affrontent des histoires de dopage de manière récurrente. Donc c'est, vraiment un premier modèle d'équipe qu'on a isolé comme cela, qui est un modèle traditionnel. Où on a affaire à un management qui est souvent formé par des anciens coureurs etc., qui ne comprennent pas, qui nous disent eh bien le vélo, eh bien le gars, il s'entraîne tout seul, eh bien c'est comme cela. Cela a toujours été comme cela. >> Donc, c'est de la quantité, quoi. Ils sont seuls, et puis ils font de la quantité. >> Voilà , ils sont seuls, ils font des heures de selle, etc. C'est un modèle d'entraînement très quantitatif, très peu suivi donc, on l'a dit, et, >> Et cela, ce serait un risque par exemple, si on réfléchit en termes de prévention. >> Tout à fait, parce que vous avez >> des individus qui sont laissés seuls face à leur vulnérabilité, qui peuvent subir la perspective d'une fin de contrat. On ne comprend pas comment ils ne sont pas performants. Donc, on les met en tension. Et puis, on leur dit, mais finalement, tu ne fais pas le métier, tu ne roules pas assez, etc., donc, >> Donc, ils sont fatigués, on leur dit, eh bien, la semaine prochaine, il faut que tu fasses une pause. >> Voilà . Je prends un exemple, un coureur qui avait pris six kilos. Six kilos, on ne les prend pas en quinze jours. Il faut au moins trois mois. Cela veut dire que l'équipe, pendant trois mois, elle n'a pas vu ce gars, s'entraîner, elle ne l'a pas vu fonctionner. Elle constate qu'il a pris six kilos. On le convoque avec un docteur, un directeur sportif, le manager, le patron de l'équipe. On lui dit, dans trois semaines, t'as intérêt à être bon. >> Et qu'est-ce qu'il a fait? >> Eh bien il est parti. Il est revenu, il s'est entraîné, il a fait trois semaines. On a fait cet entretien, genre un mardi, et le mercredi, dans la presse, on a appris que ce cycliste avait été pris pour EPO. Eh bien voilà , il avait trouvé sa solution. Il s'est remis au poids. Il a perdu ses six kilos en trois semaines. Faut, les amateurs de régime comprendront. Et il a réussi à se remettre dans le système. Malheureusement, il ne l'a pas fait avec les bons moyens. Donc, c'est typique cela de ces situations où on met en tension les gens, et sans s'en rendre compte, c'est cela qui est important à souligner. C'est qu'on est là sous le registre de la conviction, de la croyance, sur le mode culturel. >> Et d'autres équipes n'ont pas cette culture? >> Non, ce sont souvent des équipes que nous, on a appelées modernes, ou rationnelles et scientifiques, qui sont souvent de nouvelles venues à la faveur de la mondialisation du cyclisme, à partir >> des, du milieu des années 2000, etc. Création du ProTour puis du World Tour. Souvent issues des pays anglo-saxons, et maintenant un peu d'Europe de l'Est, qui développent des méthodes de suivi, sont derrière les coureurs, à tel point que eh bien, c'est le travers aussi de leur modèle, c'est qu'ils peuvent les éreinter facilement. Une équipe célèbre qu'on ne nommera pas ici, qui a eu certes des vainqueurs dans le Tour de France, mais qui ne les a pas fait durer dans le temps. Et qui derrière eux, qui leur fait un suivi intensif, rationnel. Qui les fait travailler peut-être beaucoup aussi. Mais de manière plus scientifique. >> Donc, il y a des scientifiques dans ces équipes? >> Tout à fait, il y a des gens qui sont systématiquement le recours à des gens qui ont un doctorat en sciences du sport, en physiologie, en biomécanique, etc, qui viennent renforcer le staff de ces équipes. On peut donner un chiffre. Dans une équipe traditionnelle, on est à 75 kilo-euros par coureur de masse salariale encadrement. Donc, les entraîneurs, les médecins et les directeurs sportifs. Dans les équipes modernes, qui développent ces méthodes scientifiques, on est à 150. >> Mais elle pourrait aussi tricher de manière scientifique ou pas? >> Alors, tout à fait. Alors, il faut bien dire que, nous par exemple on pourra le dire après, on met en place un système de règles, un cahier des charges pour les équipes. C'est-à -dire avoir un suivi rationnel, etc, on le développera après. C'est une condition nécessaire, mais pas, nécessaire, mais pas suffisante. C'est-à -dire que par ailleurs, il faut qu'il y ait une éthique derrière etc, et c'est là que c'est un peu, mais une équipe qui ne met pas en place de suivi, comme cela, cela veut dire qu'elle laisse faire, et là on peut soupçonner que son éthique, elle soit un peu flottante. Mais cela n'interdit pas au fait que les équipes qui soient les plus avancées scientifiquement le sont aussi pour dissimuler. On a un champion célèbre qui a défrayé la chronique il n'y a pas longtemps, qui était certes dopé, mais qui était la personne qui avait le plus rationalisé les techniques d'entraînements, rationalisé l'utilisation de son matériel, au point de pouvoir briguer la victoire juste sur son maillot. Parce qu'il était d'un tissu que les autres n'avaient pas. Juste sur son vélo, quand les autres avaient de l'acier, il avait du titane, etc., etc. Donc, c'est une condition nécessaire, suivre les athlètes, mais ce n'est pas suffisant. >> Ce n'est pas juste une question d'argent, parce que c'est une condition nécessaire pour avoir les médecins, des entraîneurs. Mais il y a d'autres dimensions. >> Tout à fait, alors cela c'est souvent ce qu'on nous objecte, en nous disant, oui, mais vous vous rendez compte, la chose que vous allez proposer, cela va coûter démesurément cher, etc. Alors, on a fait nos calculs, ce n'est pas vrai. On peut le montrer. Et puis la deuxième chose, c'est que comme on l'a dit tout à l'heure, c'est quelque chose de culturel. C'est-à -dire que c'est des modes de fonctionnement qui sont intériorisés par les gens, de telle manière à ce qu'il ne se rendent pas compte qu'ils génèrent du risque, en étant pas derrière les coureurs, en ne se donnant pas des compétences pour les entraîner, etc. Donc, quoi faire? Eh bien, c'est changer la culture. Et changer une culture, cela ne se fait pas comme cela. Cela ne se fait pas comme cela. Et donc, on y travaille maintenant avec les équipes, >> C'est quoi la recette de changer la culture, ou s'il y a recette, mais >> ou la stratégie pour changer une culture? >> Alors, la stratégie, c'est être au plus proche des équipes. Donc, on est certes des chercheurs, mais on a pris le risque de s'immerger dans l'action. Donc, on va prendre des coups sur le terrain, on est avec eux. On leur dit, là , vous voyez, ce gars-là , il a passé deux mois et demi sans que vous ayez de ses nouvelles. Ce n'est pas normal. Qu'est-ce que vous faites pour le suivre. Là , l'entraîneur, il a lancé une alerte sur tel individu, le médecin n'a pas réagi. Donc, cela veut dire qu'on est quasiment intégré dans le staff des équipes, et on met en place ce suivi, très, très, très rapproché des équipes. Et donc voilà , c'est notre méthode. Est-ce qu'il y a un secret? Non, il n'y en a pas, c'est, il y a des choses, des épisodes qui nous aident. Donc je ne sais pas. Par exemple, tel audit qui nous a demandé sur une équipe par la Commission des Licences de l'UCI, fait que progressivement, on prend conscience que notre truc est sérieux, et donc les équipes viennent jouer le jeu. Certaines équipes à l'issue de cet audit sont venues nous voir en nous disant, on veut le même chez nous. C'est les sponsors qui demandent le label en disant, eh, mais si on a ce label, on a la garantie que l'endroit où on met nos sous, eh bien c'est quelque chose de propre. Certaines équipes voulant démarcher les sponsors se disent mais si on va chercher le label de l'ISSUL, qui n'est pas une caution vide, parce que cela a été montré. C'est sérieux maintenant. Ils se disent, les sponsors, on va avoir, il faut savoir que certaines équipes qui ont perdu leur sponsoring cette année, dès qu'il y a une nouvelle affaire de dopage, sont dans un cas terrible pour aller négocier avec des nouveaux sponsors, parce qu'on leur dit : non, mais attendez, on >> Donc, il y a aussi une rationalité économique à faire de la prévention. >> Voilà , tout à fait. Ce qui est très intéressant, c'est que les équipes culturellement les plus traditionnelles, maintenant, avait un discours du type, mais le vélo, c'est comme ça, les gars, ils sont tout seul, et puis ils gèrent, on ne peut pas être derrière eux. Un discours, oui, mais bon, maintenant on a pris conscience qu'on était des employeurs, et qu'on ne pouvait plus se permettre de laisser des gens dans la nature 60 % de leur temps. Donc, une saison ça dure 300 jours, vous imaginez que 60 % du temps, le gars il n'est pas là , bah moi comme employeur je ne peux plus me permettre ça, parce que si ce gars-là fait une bêtise, pendant ce temps-là , bah mon entreprise, elle cesse d'exister. On est dans des entreprises, mes équipes de vélos, ce sont des entreprises, qui n'ont qu'un seul client, si le client s'en va, c'est fini. Quand je dis un seul client, ça veut dire entre 90 % et 100 % du chiffre d'affaires c'est le sponsor. Il s'en va, il n'y a plus rien. >> Donc, dans la prévention, il faut aussi impliquer les sponsors parce qu'ils sont aussi sensibles à ces questions. >> Tout à fait. Récemment, je suis allé dans une équipe, j'ai vu un sponsor qui fournit les vélos, en larmes, donc, là , aussi, ce n'est pas un acteur, c'est, voilà . >> Mais pourquoi il était en larmes? >> En larmes, parce qu'il me disait, il disait devant tout le monde, faut imaginer la scène, tout le staff de l'équipe, tous les coureurs, il dit : vous vous rendez compte de ce que vous avez fait à l'image de mon entreprise, moi, le contrat que j'ai avec vous >> demain matin, je reprends les vélos, je reprends les roues, et vous êtes à pied, et puis, c'est terminé, on en parle plus, si ça ne change pas, dans un mois je suis parti, etc. C'est la fin de l'entreprise. C'est la fin de l'entreprise. >> Et toi, pour aller plus loin dans cette prévention, tu proposes d'organiser un cahier des charges, >> un suivi rationalisé pour toutes les équipes. >> Tout à fait. Donc, suite à l'étude qu'on a fait pour l'Union Cycliste Internationale, on a proposé un ensemble de 10 règles, qu'on a challengé avec les équipes à force de réunions, de concertations, les équipes se sont appropriées ces règles et un certain nombre d'entre elles, cette année 8, expérimentent ce cahier des charges, ces 10 règles pour que ça devienne, donc, un règlement à partir de 2017, que toutes les équipes vont respecter. Donc voilà , ça, c'est notre proposition, l'UCI nous a remandatés pour la mettre en œuvre, les équipes nous accompagnent dans la construction, l'expérimentation, cette année 8, l'année prochaine 18, et à terme, les 40 de la première et deuxième division mondiale. C'est une espèce de système de labélisation. >> Avec l'idée de transformer l'organisation pour qu'elle soit moins à risque. >> Tout à fait. Tout à fait. L'idée, c'est de réduire les risques qui sont inhérents à l'absence de suivi, à une préparation non rationalisée, à une compétence qui n'est pas là dans les équipes, etc., etc. >> Parce que tu mesures aussi les compétences. >> Tout à fait. Donc, la règle 10 de notre cahier des charges, c'est de dire que toute personne travaillant dans une équipe, entraîneur, médecin, ou directeur sportif, doit avoir la qualification afférente à sa fonction. >> C'est quand même étonnant, on se dit mais des équipes professionnelles, on a des gens qui ne sont pas qualifiés. >> Tout à fait. Les équipes professionnelles, quand on est arrivé, nous, là , dans les premières équipes, on a constaté qu'il n'y avait pas d'entraîneur. C'est un directeur sportif, qui a été cycliste professionnel, qui entraîne les coureurs, et qui vous dit : ouh la, pff! Ouais, là , je reçois des courbes d'entraînements, avec watts développés, et tout, mais moi, tu sais, 410 watts, 420 watts, pour moi, je ne sais pas ce que c'est, donc. Oui, je reçois les données, mais j'en fais rien. L'essentiel, c'est qu'ils roulent les gars, quoi. Ça, c'est la première équipe qu'on a visitée et on s'est dit : ouah! le cyclisme de haut niveau mondial, c'est donc ça. Donc, c'était effarant. Alors, on en a vu d'autres après, qui avaient d'autres méthodes, on l'a dit avant, mais. >> Et la prévention, ça passe aussi par la formation alors? >> Tout à fait. Alors, ça, c'est un gros enjeu, donc le but du jeu, c'est pour le moment de recenser qui a quoi comme qualification, donc, ça c'est une enquête parallèle qu'on est en train de faire et d'imaginer après des solutions. Des solutions qui peuvent être de 3 types. Alors, le premier type, l'UCI se dit : j'intègre à l'intérieur une formation solide pour les entraîneurs, pour les médecins qui souvent revendiquent de ne pas avoir été formés, parce qu'ils seraient détenteurs d'une connaissance universelle, c'est faux, il y a des choses à apprendre, et la troisième chose, c'est une troisième personne, c'est les directeurs sportifs aussi qu'il faut former. Il y a déjà les formations mais elles sont trop légères, pour le moment. La deuxième solution, deuxième type de formation qu'on peut mettre en place, c'est d'identifier des lieux de formation dans des universités à de par le monde, par zone linguistique où le gens auraient la possibilité d'aller se former. Mais ça suppose de négocier l'accès de ces gens-là , aux universités. Il y a certaines universités où l'on rentre, comme en France, avec un baccalauréat, les gens qui sont dans les équipes en n'ont pas, comment on fait. Une université voudra bien en faire, à condition qu'il y a un volume de gens à former, et puis, que ce soit économiquement pertinent. Et la troisième solution, c'est un peu ce qu'on est en train de faire là , c'est-à -dire de faire une formation à distance, qui se doublerait à la fin d'un système en présentiel pour pouvoir qualifier les gens. Et dans ce cas-là , on peut effectivement depuis un lieu unique, faire varier les langues et ça peut fonctionner. >> Alors, c'est un modèle assez original, qui s'applique aux cyclistes, qui est un peu en avance par rapport à ce qui se fait ailleurs. Est-ce que ça pourrait s'appliquer à d'autres sports? >> Alors, bien sûr. Si vous regardez les autres disciplines et puis, là , on fait travailler nos étudiants, dans le cadre d'un séminaire, sur cette question, on a analysé l'athlétisme, le rugby et le football. Si je prends juste le cas du rugby, vous voyez qu'actuellement, on a des gros problèmes sur les commotions cérébrales. Et on se rend compte que certains rugbymans enchaînent les commotions cérébrales, ça veut dire qu'il y a un problème de récupération, qu'on les pousse à faire beaucoup de matchs et qu'il y a un arbitrage qui se fait entre le staff médical et l'encadrement technique, les sélectionneurs, etc., qui fait qu'on va peut-être parfois pousser les gens à faire plus de matchs, que c'est nécessaire. On retrouve là , ce qu'on retrouve dans le cyclisme, coordination entre les acteurs qui sont autour des athlètes, on retrouve la question de la charge de travail, etc. Donc, on a des, on peut penser que c'est des univers totalement disjoints le cyclisme, le rugby, et pourtant là , on a des problématiques qui sont communes, charge de travail, coordination des staffs autour de. >> Et là , charge de travail, ils prennent aussi des produits pour faire face à ces charges. >> Alors, l'actualité, elle montre que >> dans le rugby, on en parle difficilement, et puis là , on est vraiment dans la situation qu'on connaissait dans le cyclisme, de déni où on a quelques, comme c'était le cas au début des années 2000 dans le vélo, un certain nombre de gens, qui à l'issue de leur carrière, racontent comment ils ont pris des produits, etc. Ils se font immédiatement tomber dessus par toute la famille du rugby qui leur dit : non, mais ce n'est pas vrai, je vais porter plainte, je porte plainte, d'ailleurs, c'est fait, etc. Donc, on est dans cette situation-là . Et probablement, si on fait un peu de prospective, ils vont réfléchir les choses et puis, faire le même chemin. c'est aussi pour ça, que l'on voit que le vélo est en avance d'au moins 10 ou 15 ans sur les autres sports, à la fois pour l'argent qu'il met sur la table pour lutter contre le dopage, mais également en termes de mentalité, c'est-à -dire qu'on a fait notre coming out, effectivement, on utilisait des produits, maintenant, qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on continue ou est-ce qu'on change? On est menacé économiquement, il va falloir qu'on le fasse. Alors le rugby est peut-être moins menacé économiquement, et on voit qu'on est au moment de cette prise de conscience. Donc, il y a des problématiques communes, et il y a le début, l'amorce d'une prise de conscience. Et on va voir que ça peut changer. >> Merci. [MUSIQUE]