[MUSIQUE] Valérie, Thomas, le DMC. a 12 cases, c'est bien ça? >> Oui, c'est bien ça. >> OK. Du coup, quelle est la première case à remplir dans un DMC, et quelle est sa signification? >> La première case, elle est ici. Vous noterez qu'elle est séparée en deux parce qu'on va vous poser deux questions sur votre projet mené dans l'incertain. La première question, c'est : quels sont vos objectifs sur votre projet? La seconde question, c'est : quelles sont les valeurs associées à votre projet? >> Dans l'incertain, et c'est peut-être la première chose que vous devez retenir, un projet ne peut plus se définir seulement par ses objectifs : il se définit aussi et en grande partie par les valeurs qu'il véhicule. Il est important de considérer le couple objectifs-valeurs comme inséparable, et c'est pourquoi nous l'analysons dans une seule et même case. >> Discutons d'abord de la partie de la case consacrée aux objectifs de votre projet et, ensuite, on parlera de la partie consacrée aux valeurs. Sachez que la notion d'objectif change radicalement dans l'incertain. >> Avant, dans un monde stable, on attribuait trois vertus aux objectifs. La première vertu, c'était de fixer le cap : en formulant un objectif, vous montriez le chemin, vous disiez à vos équipes quelle était la direction, la où vous vouliez aller. Le problème dans l'incertain, c'est que le cap est ammené à changer très régulièrement, car des évènements improbables vont survenir et vont changer drastiquement la direction de votre projet. Cette vertu des objectifs tombe donc dans l'incertain. >> La deuxième vertu d'un objectif dans le monde d'avant, dans le monde qui était relativement stable, dans le pire des cas risqué mais pas incertain, c'était de pouvoir objectiver la progression du projet. Autrement dit, lorsque vous définissiez un objectif, ça vous permettait de dire que vous étiez à la moitié du projet, ou bien qu'il vous restait encore 75 % du temps du projet. Le problème dans l'incertain, c'est que des évènements, encore une fois, vont survenir, et vont modifier l'échéance du projet. Il n'est donc plus possible de savoir quand le projet se termine, ce qui fait donc, par construction, tomber cette deuxième fonction, ce deuxième attribut, qui était dévolu aux objectifs. >> Enfin, la troisième vertu habituellement conférée, auparavant, aux objectifs concernait leur capacité à pouvoir créer un élément de motivation pour les équipes impliquées par le projet. En fixant un objectif, vos équipes pouvaient le prendre comme sorte de défi personnel et se challenger pour l'atteindre. Le problème, c'est que vous ne pouvez actionner ce levier que s'il existe une relation positive et avérée entre le niveau d'effort consenti par quelqu'un et sa probabilité de réussir à atteindre l'objectif fixé. Le problème dans l'incertain, c'est que ce lien est rompu : parfois, certaines personnes font beaucoup d'efforts, mais dans l'adversité d'évènements imprévus, n'obtiennent aucun résultat, et inversement, parfois certaines personnes font peu d'efforts et obtiennent des résultats. Dans l'incertain, vous ne pouvez donc plus motiver et encourager vos équipes avec simplement un objectif. >> Dans l'incertain, vous ne pouvez donc plus manipuler les objectifs de la même manière qu'avant : les objectifs que vous formulez sur votre projet ne sont plus là pour fixer le cap, ils ne sont plus là pour définir le niveau d'avancement de votre projet, et ils ne sont plus là non plus pour challenger vos équipes. Ils sont là simplement comme des prétextes pour commencer à avancer. Sans objectif, il serait en fait difficile de s'engager, il faut donc continuer à formuler des objectifs mais surtout, dans le même temps, considérer que ces objectifs sont simplement des points de départ. C'est en quelque sorte des prétextes dont la destinée est d'être vus à très court terme, c'est juste des pistes qui sont là pour engager le premier pas. >> C'est plutôt clair sur la partie de la case consacrée aux objectifs. S'agissant de la seconde partie de la case dédiée aux valeurs, quelles recommandations avez-vous à nous faire? >> Il faut que vous preniez conscience de la nouvelle place occupée par les valeurs dans l'incertain. Un projet dans l'incertain se définit en grande partie par ses valeurs. Comprenez : dans un environnement stable, prévisible, vous pouvez vous contenter juste de nous dire quelles sont vos intentions pour le futur, donc derrière quels objectifs vous courrez, vous pouvez simplement nous dire quelle est la lignée d'arrivée de votre projet, mais dans un environnement embrumé, c'est-à-dire dans un environnement où le brouillard fait que vous ne voyez plus grand chose devant vous, que des évènements imprévisibles peuvent surgir, votre point de départ devient tellement hypothétique que vous devez plutôt nous dire quelles sont les valeurs sur lesquelles se fondent les actions que vous êtes en train de lancer. >> Effectivement, parce qu'en l'absence de certitude sur le futur, ce que vous maîtrisez et ce qui vous définit, ce ne sont plus vos résultats à venir, vos résultats projetés, devenus aléatoires en l'occurence. Ce que vous maîtrisez et qui vous définit, ce sont vos valeurs. Ces valeurs, c'est précisément ce qui va diriger et ce qui va guider votre chemin dans l'incertain. L'incertitude de l'environnement dans lequel se prennent beaucoup de décisions désormais, déplace la question de l'incertitude vers la certitude des valeurs de celui qui prend la décision. >> OK, et est-ce qu'il faut faire attention à quelque chose en particulier lorsque l'on définit les valeurs qui vont porter notre projet dans l'incertain? >> Oui. Nous avons en fait deux recommandations assez fortes pour vous aider à définir les valeurs de votre projet. La première recommandation, c'est celle de la nécessaire correspondance entre les valeurs du projet, les valeurs du porteur du projet, et les valeurs de l'organisation dans laquelle s'insère le projet. Autrement dit, si vous portez un projet dans une entreprise, vous devez vous assurer que les valeurs de votre projet sont alignées avec vos propres valeurs et avec les valeurs de votre entreprise. >> L'alignement des planètes entre les valeurs du projet, les valeurs du porteur de projet et les valeurs de l'organisation qui porte le projet, était déjà souhaitable dans un monde stable, prévisible, certes risqué, mais certain. Dans un monde incertain, c'est vraiment devenu une condition nécessaire et une condition indispensable. >> Cette recommandation se nourrit des résultats de plusieurs recherches récentes, notamment des travaux de chercheurs en sciences sociales qui ont travaillé sur la notion d'intention. Ces chercheurs, ils ont essayé de comprendre pourquoi on fait les choses, autrement dit, ce qui nous motive lorsque l'on décide de lancer un projet. >> On peut faire référence, ici, aux travaux d'Icek Azjen et à sa théorie du comportement planifié. [MUSIQUE] [MUSIQUE] Icek Azjen met en avant trois variables qui viennent influencer la décision de lancer un projet. La première variable, c'est la désirabilité du projet : est-ce que le porteur a vraiment une envie inébranlable de lancer son projet? La deuxième variable, c'est la norme sociale : est-ce que l'environnement du porteur de projet voit l'initiative en cours avec bienveillance ou, au contraire, avec crainte et désapprobation? Autrement dit, le collectif dans lequel s'insère le projet perçoit-il positivement ou négativement l'action du porteur? Enfin, la troisième variable, c'est la faisabilité du projet : est-ce que le porteur a un contrôle sur la situation, sur son initiative? >> Dans un monde stable, prévisible, il fallait un peu des trois variables pour se lancer, donc il fallait une envie raisonnable de faire le projet, un environnement en soutien, et l'impression de contrôler un peu la situation. Dans un monde incertain, ce qui se produit, c'est que la troisième variable, celle sur la faisabilité du projet, elle tombe : il n'est plus possible de contrôler la situation. La boite noire devant laquelle vous êtes vous empêche d'avoir des informations fiables sur la faisabilité de votre projet, ce qui a pour effet mécanique de renforcer l'importance des deux autres variables. Dans un monde incertain, il faut donc désormais avoir encore plus envie de lancer le projet, et avoir une organisation qui soit encore plus en soutien. Exprimé dans les termes du modèle du comportement planifié d'Icek Azjen, ça revient à dire que, dans l'incertain, la variable faisabilité du projet tombe, et donc, par construction, il faut renforcer les deux autres variables, qui sont la désirabilité du projet et la norme sociale. L'une des meilleures manières de faire pour renforcer la désirabilité du projet, c'est certainement d'aligner les valeurs du projet avec les valeurs du porteur de projet, parce que si le porteur de projet peut exprimer ses propres valeurs dans le projet, alors évidemment la désirabilité en sera renforcée. L'une des meilleures manières de faire pour renforcer la norme sociale, donc je rappelle, la norme sociale, c'est la bienveillance avec laquelle l'environnement va accueillir votre projet, c'est évidemment d'aligner les valeurs du projet avec les valeurs de l'organisation ou du collectif qui porte ce projet. Finalement, pour entreprendre un projet dans l'incertain et avoir de la force et du souffle, il faut donc aligner les valeurs du projet, les valeurs du porteur de projet, et les valeurs de l'organisation dans laquelle le projet s'insère. >> OK. Votre première recommandation à intégrer pour enseigner cette partie de la première case du DMC consacrée aux valeurs, c'est donc de bien vérifier que les valeurs du projet sont alignées avec les valeurs du porteur de projet et les valeurs du collectif qui le porte. Quelle est la seconde recommandation que vous vouliez partager avec nous pour remplir cette case? >> Notre seconde recommandation concerne la puissance des valeurs sur lesquelles repose votre projet. Vous pouvez noter qu'un projet repose sur des valeurs qui sont soit fortes, soit faibles. Pour savoir si les valeurs de votre projet sont fortes ou faibles, on vous propose un petit test qui est assez facile à réaliser. Vous allez renverser le sens de la valeur de votre projet et vous allez observer si cette valeur, après son renversement, elle tient toujours, c'est-à-dire si elle a toujours du sens, ou si, au contraire, elle ne veut plus rien dire. Si la valeur tient, elle est forte. Si la valeur tombe, elle est faible. >> Prenons des exemples. Si vous me dites que vous développez un projet qui repose sur une valeur d'excellence dans la relation client, autrement dit, vous érigez en valeur le fait de prendre soin de vos clients, alors vous faites porter votre projet sur une valeur faible, parce que si on renverse le sens de la valeur, c'est-à-dire, si on transforme cette valeur en détérioration de la relation client, on voit bien qu'elle ne tient plus, elle n'a plus aucun sens : personne ne peut raisonnablement défendre l'idée de lancer un projet qui a pour valeur la détérioration de la relation client. En renversant le sens de la valeur, nous constatons donc qu'elle tombe, nous pouvons en conclure que la valeur est faible. En revanche, si vous me dites que vous menez un projet fondé sur une valeur de rareté dans la livraison du service ou du produit que vous vendez, alors cette valeur est forte : il est en effet possible de défendre l'idée contraire, de produire un service ou un produit pour le plus grand nombre, ce qui est l'inverse de la rareté ; dans ce cas la valeur tient toujours quand elle est renversée et, pour cette raison, elle est forte. >> Dans l'incertain, il est évidemment préférable d'avoir des projets qui reposent sur des valeurs fortes, parce que les valeurs fortes vont vous offrir la possibilité d'être plus radical dans vos choix, et cette radicalité va vous apporter deux bénéfices, en réalité. Le premier, c'est qu'en étant radical, vous allez avoir plus de facilité à attirer l'attention de votre cible, et, ça, c'est essentiel dans une économie de la tension, et c'est d'ailleurs une des choses les plus difficiles à faire. Le second bénéfice, c'est que cette radicalité, elle va vous permettre d'apprendre plus facilement : quand vous faites quelque chose de radical, vous savez plus facilement ce qui marche et ce qui ne marche pas. >> Donc, pour résumer. Dans cette première case du DMC, il faut répondre à deux questions : quels sont les objectifs, et quelles sont les valeurs du projet? Il faut que les valeurs du projet coïncident avec les valeurs du porteur de projet et celles du collectif qui le porte, et ces valeurs doivent être des valeurs fortes. Pour identifier si une valeur est faible ou forte, je l'inverse et vois s''il s'agit encore d'une valeur qui est défendable. Maintenant que vous avez compris tous les concepts cachés derrière cette première case, il semble judicieux de mettre en pratique ce que vous avez appris. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Tout à fait. Rassurez-vous, on va vous donner des exemples qui permettent de bien comprendre la manière dont nos recommandations se matérialisent concrètement. >> On va faire même mieux que ça : chaque fin d'épisode se clôturera par un atelier, un atelier où l'on va faire passer un projet, toujours le même, pour le mettre à l'épreuve du DMC. >> Pour cet atelier, il nous a donc fallu choisir un projet, un projet qui vous parle et qui nous soit familier, un projet qui nous rassemble, vous et nous, et quand on y pense, on en a un sous les yeux : le DMC. Chaque fin d'épisode va donc se terminer avec un atelier qui montre comment nous avons utilisé le DMC. pour notre propre projet, les vidéos, en l'occurence, que vous êtes en train de regarder. C'est une mise en abîme, en quelque sorte. On va vous montrer comment le DMC peut concrètement s'appliquer à deux personnes, Valérie et moi, qui portons un projet dont l'intention de départ était simple : produire des contenus utiles sur l'incertain à destination des professionnels. >> Quand nous avons commencé à travailler sur la question de l'incertain avec Thomas, nous savions que nous voulions faire une série de vidéos permettant de mettre en avant les avancées de la recherche dans ce domaine et les partager avec le monde professionnel. Notre projet consistait donc à faire ces vidéos et en faire un produit à la fois aux standards attendus par les professionnels, et aussi qui vise à être massivement regardé, parce qu'on était convaincus que le contenu de ces vidéos pourrait aider tous ceux qui les visionneraient. >> Notons que ce projet de vidéos est éligible au DMC parce qu'il évolue dans l'incertain. Comme nous le signalions dans une vidéo précédente, l'incertitude existe lorsque vous n'avez pas d'information sur les probabilités de survenance des évènements. Rappelez-vous, c'est Frank Knight qui nous l'a appris. Or, là, c'est exactement le cas : on ne sait effectivement pas dire avec quelle probabilité nos vidéos vont fonctionner ou pas, on est donc bien dans l'incertain. >> Pour ce projet de vidéos, clarifions ce qui relève de la description du projet lui-même de ses objectifs et de ses valeurs. Commençons par le projet. C'est tout simple : il s'agit de réaliser des vidéos, et c'est en quelque sorte le titre du D.M.C. >> Pour ce qui est des objectifs, nous voulons faire en sorte que ces vidéos soient utiles à ceux qui les regarderont, et, aussi, nous aimerions atteindre un grand nombre de vues. Alors OK, ça fait deux objectifs différents, en fait, mais c'est très bien, parce que le DMC peut accepter sans problème plusieurs objectifs pour un même projet. Notre premier objectif renvoie donc à la qualité des vidéos et notre second objectif vise la viralité des vidéos. Il suffit donc d'écrire tel quel ces objectifs dans la case du DMC qui est consacrée aux objectifs du projet. >> En ce qui concerne les valeurs, nous pensons que ces vidéos pourraient aider les professionnels. Derrière cette idée, on retrouve l'information tacite que notre valeur centrale est de vulgariser le savoir scientifique pour le rendre accessible à tous. On peut donc le noter ici, tel quel, dans le DMC. >> Maintenant, il convient de s'assurer que, un, cette valeur est bien alignée avec celle des porteurs de projet et du collectif qui le porte, et, deux, qu'il s'agit bien d'une valeur forte et non d'une valeur faible. Pour le premier point, sachez que les porteurs de projet, c'est Valérie et moi, et que, parmi nos valeurs, on a celle qui consiste à essayer de jeter des ponts, au maximum, entre le monde académique et le monde professionnel. Si vous regardez nos travaux, l'un des dénominateurs communs à beaucoup de nos réalisations, c'est l'envie forte de rendre accessible les dernières avancées de la recherche scientifique pour les mettre dans les mains des praticiens. Formulée de cette façon, la valeur sur laquelle se fonde notre projet, à savoir, vulgariser le savoir scientifique pour le rendre accessible à tous, est donc vraiment alignée avec nos valeurs. Par ailleurs, sachez que notre institution a également pour valeur de produire une recherche actionnable qui apporte une utilité directe aux acteurs économiques. La valeur du projet est donc alignée avec nos valeurs, mais aussi avec celles de l'organisation à laquelle nous appartenons. >> Regardons si la valeur sur laquelle repose notre projet est faible ou forte, et je rappelle que faible ou forte s'entendent sans arrière-plan de hiérarchie morale. La valeur consistant à vouloir vulgariser le savoir scientifique pour le mettre entre les mains des praticiens est une valeur forte en ce qu'il est tout à fait possible de défendre l'idée contraire : certains chercheurs considèrent, par exemple, que le savoir scientifique ne doit pas être vulgarisé, parce que lorsqu'il l'est, il l'est au prix d'une simplification abusive et de raccourcis qui peuvent quelques fois enlever sa subtilité à la recherche originelle. Cet argument s'entend, nous ne le partageons pas ou, plutôt, pas complètement. Du coup, comme il est possible de renverser la valeur du projet et qu'elle tient toujours, cette valeur est donc forte et c'est un atout lorsqu'on lance un projet dans l'incertain. >> Voilà qui clôt cet épisode sur la première case du DMC, la case Objectifs et valeurs. Dans le prochain épisode, nous aborderons en détail la deuxième case dédiée aux certitudes que vous pouvez avoir sur votre projet. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]