[MUSIQUE] Dans cette série de vidéos, nous partons à la découverte de chacune de ces 12 cases pour vous expliquer comment utiliser le DMC. Précédemment, nous avons abordé la première case du DMC consacrée aux objectifs et aux valeurs du projet mené dans l'incertain ; ainsi que la deuxième case, consacrée quant à elle aux certitudes que l'on pense avoir sur son projet. Valérie, Thomas, pouvez-vous maintenant nous dire où se situe la troisième case du DMC et quelle est sa signification? >> La troisième case du DMC est ici. Elle est consacrée aux angles morts du projet que vous menez dans l'incertain. La question qui vous est posée est simple, c'est : quels sont vos angles morts par rapport à votre projet? Autrement dit : qu'est-ce que vous ne savez pas sur votre projet? Comme d'habitude, la question posée est plutôt simple, mais la réponse est assez subtile. >> La subtilité vient ici du fait que dans l'incertain, vous devez affiner l'analyse des éléments inconnus de votre projet. Dans l'incertain, et comme l'on dit en mathématiques, vous ne devez plus raisonner seulement d'ordre un, mais raisonner d'ordre deux sur ces variables. Vous devez vous demander si ce que vous ne savez pas, vos inconnues, vous savez ne pas le savoir, et dans ce cas, on parlera d'inconnues connues ; ou alors, vous ne savez pas ne pas le savoir, et dans ce cas, on parlera d'inconnues inconnues. Enfin, vous ne savez pas qu'en réalité vous le savez, et dans ce cas, on parlera de connues inconnues. >> La première fois qu'on entend parler d'inconnues connues, de connues inconnues, d'inconnues inconnues, on a l'impression de rentrer dans un monde complexe. C'est en réalité assez simple, mais avant de vous expliquer en détail ce que couvre chacun de ces concepts, on va vous raconter une petite anecdote, juste pour vous aider à vous souvenir que le futur couvre toujours différents niveaux d'inconnues. J'imagine que tout le monde a encore à l'esprit la guerre d'Irak, qui a opposé, au début des années 2000, les États-Unis à Saddam Hussein. À l'époque, le gouvernement américain a motivé son intervention en Irak par le concept de guerre préventive. C'est-à-dire qu'ils soupçonnaient Saddam Hussein d'être en possession d'armes de destruction massive et voulaient l'en priver assez rapidement, pour éviter qu'il puisse s'en servir contre leurs intérêts. Pour autant, quelques mois avant le début de la guerre, la presse a exprimé des doutes assez forts quant à l'existence de ces armes sur le territoire irakien. Et à ce moment-là, le secrétaire d'État à la défense, qui s'appelait Donald Rumsfeld, a répondu à une interview en formulant une phrase qui est restée assez célèbre. Il a dit : « There are known knowns, there are known unknowns, but there are also unknown unknowns. » Autrement dit, il nous dit qu'il y a les connues connues. C'est-à-dire, ce sont les choses, on sait qu'on les sait. Mais il y a aussi les inconnues connues. Là, ce sont les choses, on sait qu'on ne les sait pas. Et après, il y a les inconnues inconnues. Là, on ne sait pas qu'on ne les sait pas. >> Cette phrase fut au départ moquée, notamment parce que c'est une façon plutôt fallacieuse pour l'administration américaine de dire que l'absence de preuves sur l'existence d'armes de destruction massive n'était pas la preuve de l'absence de ces armes. Si on accepte de motiver une action avec l'argument que l'on ne sait pas ce que l'on ne sait pas, alors en effet, on peut à peu près tout justifier. Mais indépendamment de la raison pour laquelle Donald Rumsfeld a dit cela, ce qui n'est pas là notre sujet, de nombreux chercheurs ont reconnu que sur le plan de la logique, la piste ouverte par Donald Rumsfeld était très juste, si bien qu'aujourd'hui, cette citation fait référence pour signaler qu'il est toujours intéressant, face à des inconnues, de s'interroger pour savoir si ces inconnues sont des inconnues connues, des inconnues inconnues, ou des connues inconnues. >> Si vous préférez un exemple de la vie de tous les jours pour bien comprendre la distinction entre ces trois types d'inconnues, considérez la météo dans trois mois. Eh bien, c'est une inconnue connue. En gros, on sait qu'il y aura une météo dans trois mois, mais on ne sait pas s'il fera 15 ou 17 degrés. Et donc, c'est une inconnue connue parce qu'on sait qu'on ne sait pas. En revanche, si vous prenez la COVID-19, au moment où elle est apparue, c'était une inconnue inconnue. On ne pouvait raisonnablement pas anticiper cette pandémie. Elle fait donc partie des inconnues inconnues parce qu'on ne savait pas qu'on ne savait pas. Enfin, si je vous demande ce que vous avez fait il y a 86 400 secondes, à mon avis, vous allez me dire que vous ne savez pas. Mais si je vous dis que 86 400 secondes c'était il y a pile 24 heures, il est probable que là, vous vous dites : « Si, finalement, je sais », parce que souvent, on se souvient de ce qu'on a fait pile 24 heures avant. Vous voyez, ça, c'est une connue inconnue, parce que vous ne le saviez pas, mais vous le saviez, en fait. >> D'accord. Mais du coup, dans cette case du DMC consacrée aux angles morts de notre projet, doit-on mettre qu'on sait ne pas savoir, et ce qu'on ne sait pas ne pas savoir, et aussi ce qu'on ne sait pas que l'on sait déjà? >> Non, vous ne pouvez pas mettre les trois. On va en éliminer deux assez rapidement. Regardez. Par définition, vous ne pouvez pas écrire ce que vous ne saviez pas ne pas savoir, puisque vous ne le saviez pas. Par ailleurs, si vous mettez ce que vous ne saviez pas savoir, par définition, le fait de l'écrire fait que vous le savez désormais. Et comme vous le savez dorénavant, ce n'est plus un angle mort. À la limite, vous pouvez et vous devez même l'inscrire dans la case des certitudes. Il ne vous reste donc plus que ce que vous savez ne pas savoir, et c'est donc ça qu'il va falloir renseigner dans la case consacrée aux angles morts. >> Pourquoi vous avoir parlé de ces trois types d'inconnues? Pour pointer que dans l'incertain, il est important que vous vous interrogiez dès cette étape du DMC sur la nature des inconnues autour de votre projet. Parce que dans l'incertain, les inconnues inconnues, ce que vous ne savez pas ne pas savoir, sont extrêmement nombreuses, et ce sont probablement celles qui vous apporteront le plus de valeur pour votre projet. Vous devez donc être ouvert à les accueillir. Nous verrons ça plus tard dans la partie droite du DMC. Les connues inconnues, ce que vous savez mais ignorez le savoir, sont elles aussi importantes, car elles viennent nourrir la case des certitudes. Elles éclairent la boîte noire dans laquelle vous êtes. C'est important de le découvrir, et c'est aussi à ce moment du DMC que vous devez vous poser cette question. Enfin, les inconnues connues, ce que vous savez ne pas savoir, sont vos angles morts. Ces inconnues définissent aussi votre projet et doivent remplir la case du DMC. >> Dans cette case consacrée aux angles morts du projet, comme il ne faut écrire que les inconnues connues du projet, on pourrait croire que cette case est finalement assez facile à remplir. Mais ce n'est pas tout à fait vrai, parce que la subtilité dans cette case réside aussi dans un autre effet qu'il faut que vous connaissiez, que vous preniez en compte, c'est l'effet Dunning-Kruger. [MUSIQUE] Cet effet porte le nom des deux personnes qui l'ont découvert, qui s'appellent David Dunning et Justin Kruger. Et ces deux chercheurs ont publié un article en 1999 qui est très intéressant. Ils l'ont publié dans une revue qui s'appelle Journal of Personality and Social Psychology, et ils montrent que les incompétents n'ont pas conscience de leur incompétence. Par exemple, quelqu'un qui ne sait pas conduire va penser que c'est plutôt facile de conduire. Mais dans l'article, ils montrent aussi qu'en acquérant de la compétence, c'est-à-dire par exemple en commençant à apprendre la conduite, on s'aperçoit que les choses sont un peu plus complexes qu'elles n'y paraissaient, et donc, on prend conscience de tout ce qu'il nous reste à apprendre pour devenir un expert. Si vous voulez comprendre cet effet de manière imagée, vous pouvez considérer que tout ce que vous savez peut être représenté par une balle. L'extérieur de la balle c'est l'ensemble du savoir du monde entier. Et donc, vous comprenez bien que la frontière entre cette belle et l'extérieur, ça représente tout ce que vous savez ne pas savoir. Remarquez que plus cette balle augmente, c'est-à-dire plus vos compétences augmentent, plus la circonférence entre la balle et l'extérieur augmente également. Ce qui veut dire que plus vous savez quelque chose, plus vous savez que vous ne savez pas grand-chose. >> Le lien avec la question des angles morts d'un projet est assez simple à établir. Si vous ne trouvez pas d'angle mort sur votre projet, c'est que vous n'avez pas conscience d'ignorer nombre de choses, et avez sûrement des lacunes de compétences à combler dans un certain nombre de domaines. Inversement, si vous énumérez beaucoup d'angles morts sur votre projet, plutôt que de penser que vous êtes nul car vous ne savez pas grand-chose, c'est peut-être que vous êtes en train de devenir expert de votre projet dans l'incertain. Tout ceci pour vous dire que cette troisième case du DMC consacrée aux angles morts doit être assez nourrie. Si elle ne l'est pas, ne vous félicitez pas en imaginant que vous maîtrisez pleinement votre projet. Retrouvez une posture du doute et de la quête de toutes ces inconnues qu'il vous reste à identifier. >> Pour résumer, il existe donc trois types d'inconnues : ce que l'on sait ne pas savoir, ce que l'on ne sait pas ne pas savoir, et ce qu'on ignore savoir. C'est ce que l'on sait ne pas savoir qu'il faut mettre dans cette troisième case du DMC, et l'effet Dunning-Kruger nous apprend que plus il y en a, mieux c'est. Maintenant que vous avez compris tous les concepts cachés derrière cette troisième case, il est temps de passer en mode atelier et de mettre en pratique ce que vous avez appris. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Reprenons l'exemple de la série de vidéos que l'on est en train de tourner. Nous avons déjà commencé à remplir les premières cases du DMC associé à ce projet. Nous avons signalé que nous poursuivons deux objectifs : tourner des vidéos qui soient bien faites d'une part et virales d'autre part, dans le but d'aider des praticiens à prendre des décisions dans l'incertain. On a vu que notre projet reposait sur une valeur forte, qui consiste à vulgariser le savoir scientifique pour le rendre actionnable par les praticiens. Enfin, on a fait le point sur nos certitudes, et nous pensons sincèrement que le thème abordé par ces vidéos, à savoir la prise de décision dans l'incertain, intéressera sans aucun doute tous les professionnels. Après avoir dit ça, on peut entrer dans la troisième case du DMC sur les angles morts. On se pose donc la question : quels sont nos angles morts sur ce projet, c'est-à-dire qu'est-ce que l'on sait ne pas savoir? >> La première chose à laquelle on peut penser c'est le budget, et donc le coût final de ce programme de vidéos. On pourrait donc dire que le coût réel est une inconnue sur ce projet. Mais au cas particulier de ce projet, nous savons que nous avons une enveloppe budgétaire fixe, sans possibilité de dépassement. On a donc décidé de piloter ce projet dans une logique de conception à coût objectif. La conception à coût objectif c'est une méthode de management de projet qui consiste à développer un projet dans une enveloppe budgétaire donnée, en arbitrant éventuellement entre certains éléments de la conception du projet en cas de risque de dépassement de budget. Par conséquent, le budget n'est pas quelque chose que l'on ne connaît pas : on a un budget, et on sait qu'on ne le dépassera pas. >> Et là, on vient de trouver l'une des connues inconnues de notre projet : quelque chose que l'on ne pensait pas savoir, mais qu'en fait on savait. Et c'est tout l'intérêt de passer les inconnues au rang deux, pour justement en apprendre davantage. Notre budget n'est donc pas un angle mort mais une certitude. On peut donc compléter non pas la case trois du DMC mais la case deux du DMC, celle qui est consacrée aux certitudes. >> On peut donc maintenant revenir à notre question initiale : quels sont nos angles morts sur ce projet, c'est-à-dire, qu'est-ce qu'on sait ne pas savoir? Un autre élément de réponse à cette question pourrait être très simplement le fait qu'on ne sache pas si le projet va marcher. Mais le fait que l'on ne sache pas si un projet va marcher ou pas est en fait une caractéristique inhérente à n'importe quel projet. Ce n'est donc pas un angle mort. Un angle mort c'est autre chose. Ça doit être quelque chose qu'on n'a pas encore eu le temps d'explorer, et qui pourrait impacter la réussite de notre projet, quelque chose dont on sait qu'il est dans notre angle mort quand on regarde dans tous les sens. >> Et pour rappel, si on pense que nous n'avons aucun angle mort sur notre projet, on risque de croire que nous sommes nous-mêmes victimes de l'effet Dunning-Kruger. En fait, si on a trop confiance en nous, c'est peut-être parce qu'on est incompétent. Mais on vous rassure, ce n'est pas le cas. Parce que si on prend notre projet de vidéos, on ne sait pas s'il n'y a pas déjà d'autres personnes qui ont fait ce genre de vidéos. Autrement dit, on ne sait pas s'il y a déjà des concurrents sur ce projet. Et ça, c'est un très bel angle mort. On peut donc l'écrire tel quel dans le DMC. >> Voilà qui clôt cet épisode sur la troisième case du DMC, la case angle mort. Dans le prochain épisode, nous aborderons en détail la quatrième case dédiée aux explorations que vous devrez effectuer pour en savoir plus sur votre projet. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]